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Rapport n°3 – Déconfinement J+23

Épisode 3, 3 semaines plus tard, maintenant vient la nostalgie. Est-ce que c’est bizarre ? D’être nostalgique d’un moment si perturbant, considéré partout comme difficile ? Peut-être que je peux me permettre d’être nostalgique parce que mes conditions de confinement n’étaient pas si difficiles.

Ce soir c’est l’orage, il pleut des cordes, la pluie tape sur le toit de mon immeuble et les éclairs fissurent le ciel juste à ma fenêtre. Alors je m’y suis penchée, pour 10 minutes, et j’ai cherché les éclairs dans le ciel, les uns après les autres. En me postant à ma fenêtre je me suis rendu compte que je ne l’avais pas fait depuis qu’on a arrêté d’applaudir à 20h. Et je me suis rappelé la découverte qu’avait été ma fenêtre à ce moment-là. Je connais la vue mais je ne m’y étais jamais attardée, je n’avais jamais regardé les immeubles qu’on ne voit qu’en se penchant, je n’avais jamais observé les gens, les lumières la nuit, le calme dans le bruit.
Les fumeurs ont une meilleure expérience des fenêtres, peut-être même qu’ils vivent davantage de moments de contemplation. Moi, sans les applaudissements à 20h, je n’aurais pas contemplé le monde à ma fenêtre. Et là, le refaire pour observer l’orage a juste démontré le caractère exceptionnel de ce moment.
Les applaudissements ne me manquent pas en tant que tels, mais être à ma fenêtre pour quelques minutes, n’avoir rien d’autre à faire qu’observer les autres pour oublier le sentiment de ridicule de taper ses mains l’une contre l’autre sans fin, et ainsi me sentir liée à mes voisins pour un instant, c’est ça qui me manque.

Je suis nostalgique de l’époque où il était normal de ne rien faire, où j’organisais mes soirées en suite d’activités que je ne faisais que pour moi.
Maintenant tout reprend et je subis de nouveau l’heure, le retard, la course sans fin après les minutes pour ne faire que des choses utiles et réussir à les faire toutes : me reposer parce que je suis fatiguée de ma journée, préparer un bon repas parce qu’il faut manger sainement, manger parce que j’ai faim, faire ma toilette parce que je suis toute enchiffonnée de ma journée, ressortir pour voir les copines parce que je n’ai pas pu le faire pendant des mois, rentrer me coucher parce que je suis fatiguée et qu’une nouvelle journée m’attend le lendemain.
Tout s’enchaîne. Je n’ai plus le temps de lire des livres à part 10 minutes avant d’aller me coucher, comme autrefois. Fini les couchers de soleil-lecture sur le balcon.
Pendant le confinement, il n’y avait pas vraiment de crainte du lendemain : chaque jour était similaire et il fallait bien se lever la semaine, mais pas de stress de devoir se lever très tôt, pas de stress de devoir absolument être en forme le jour suivant, pas de stress de devoir trouver une tenue le soir pour s’habiller plus vite le matin.
Je pouvais assouvir mes passions de mollusque, me traîner autant que je le voulais, ne rien faire et m’en trouver héroïne de la société.

Pendant le confinement, notre sociabilité était en standby, parallèle, virtuelle. Mais on a développé d’autres formes de relations, plus intenses et profondes. On a maintenu des conversations qui n’auraient pas vécu dans la vie normale. J’ai l’impression qu’on a tous des histoires de rencontres importantes liées au confinement, comme si on s’était raccrochés à d’autres choses, à une autre dimension relationnelle. J’ai aussi la nostalgie des moments passés avec mes colocs (nostalgie ponctuelle, on est quand même très différents) : on se parlait beaucoup plus, on riait plus qu’avant, on a mieux fait connaissance. Alors oui, maintenant c’est fait, mais on ne peut plus maintenir le même suivi de la vie des uns et des autres, on perd le fil, on rate des anecdotes, des doutes, des récits de cauchemars quand on n’y coupait pas autrefois.
En confinement on avait le temps de passer des heures au téléphone, on a observé des tas de gens par Skype, dans leurs intérieurs, dans leur quotidien, alors qu’on ne les avait jamais vus de cette façon-là.

Peut-être que je suis aussi nostalgique de l’espoir que cet épisode hors du commun a fait naître sur notre capacité à rebondir, à nous poser des questions de fond sur le fonctionnement de la société, et à agir pour changer les choses. Finalement je ne suis pas sûre que quoique ce soit va changer, si ce n’est le poids de la dette et l’angoisse que les politiques et les médias cultivent sur le sujet.


Peut-être que je suis nostalgique de l’extrême, des sensations qu’on a vécues : se dire qu’on n’avait jamais vécu ça, craindre de tomber malade, craindre d’être à l’origine de la maladie de nos proches, craindre d’être contrôlée par la police, craindre d’être découverte pendant une escapade illégale, rassurer mes proches sur nos chances de survie pour me rassurer moi-même.


La dimension irréelle de la situation et l’absence de visibilité sur la suite qui étaient si déroutantes et stressantes me manquent. Je me suis tellement plaint de ne pas savoir ce qu’allaient être mes jours, mes semaines ou mes mois à venir. Maintenant que je le sais à peu près, j’ai la nostalgie de ce temps suspendu.
Peut-être que j’étais fière de m’en sortir dans une situation aussi exceptionnelle, et que maintenant que tout rentre dans l’ordre je suis seulement fatiguée de tout ce déploiement d’énergie face à l’inconnu. Je me sens vidée, je sens que ça se sent, et même si ça va passer, la période où je trouvais des trésors de patience et d’adaptabilité au fond de moi sans effort apparent me manque.

En même temps, la nostalgie à quoi ça sert ? Mieux vaut se tourner vers l’avenir et profiter des beaux jours, des terrasses, des vacances qui nous attendent.

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