La fatiiigue ! La fatigue ma parole !
Lourde, sourde, profonde. Elle m’immobilise. J’ai passé mon dimanche à dormir. Littéralement. Avec le mal de tête, la tête qui tourne, le lit qui m’engloutit.
Ça ressemble un peu à la fatigue du confinement, mais là c’est pire.
C’est la fatigue de la reprise de la vie, avec du mouvement, des interactions sociales, des activités, du bruit, de la circulation, de la pollution, des humeurs. Autant d’humeurs que de gens, autant de réactions que de situations. Comme c’était difficile cette première vraie semaine !
Il faut reprendre le rythme, sauf que ce n’est pas le rythme d’avant. Et quand on l’aura repris il va se modifier, puisque la situation va encore changer. Et d’ailleurs on a hâte qu’il change, on a hâte que tout rentre dans l’ordre et reprenne comme avant. Et comme on ne sait pas combien de temps ça va prendre, c’est encore plus difficile d’adopter ce rythme. On n’en a pas envie, et on est coincés avec, pour un temps flottant et indéfini.
Pour un temps indéfini on continue le télétravail. On va parfois au bureau mais pas souvent.
On sort mais on ne peut toujours pas vraiment se retrouver pour faire quelque chose.
On fait des sorties sport et nature. On va faire du vélo, des balades. Mes colocs partent en rando, tout mon compte Instagram déborde de photos de nature et de forêts, tout le monde se rue dehors. Mais dehors, on a tous les 2 mêmes activités : bouger (en vélo ou à pieds) ou se poser (sur les bords d’un canal ou sur les bords d’un autre canal).
Les bords des canaux sont noirs de monde. Honnêtement personne ne peut m’expliquer la raison qui les a poussés à maintenir les parcs fermés. C’est stupide. On vient de vivre 2 mois enfermés, ce n’est pas en gardant les parcs inaccessibles qu’ils vont nous convaincre de rester un peu plus longtemps à la maison. On s’agglutine tous aux mêmes endroits. On se touche presque. Les distances de sécurité ne valent pas cher face à quelques centimètres de quai au bord de l’eau.
Je me creuse la tête pour trouver de meilleurs points de rassemblement. Mais à Paris c’est toujours la même histoire, si on enlève les parcs et les terrasses, il ne reste plus beaucoup d’endroits où il fait bon vivre. Compliqué à gérer.
Il y a une autre chose qui est difficile à gérer, c’est la fin de l’indulgence.
Au travail on a repris 5 jours par semaine. Tout le monde se remobilise, même si nous n’avons toujours pas vraiment d’événements à préparer. Il faut à nouveau être efficace, il faut à nouveau être disponible, il faut à nouveau être motivé.
Alors que concrètement, les choses n’ont pas tellement changé.
Mais le confinement est terminé, donc on tourne la page. On tourne la page même s’il y a écrit exactement la même chose sur la page suivante. On se remet au travail, et on ne peut plus rêvasser.
On a arrêté de ne rien faire. On n’a plus la même patience, on a arrêté d’applaudir à 20h, mais on a toujours aussi peu envie de se mélanger, voire encore moins puisqu’on est plus nombreux et donc forcés d’être plus méfiants. Avant, pendant le confinement, je ne croisais personne dans l’ascenseur de mon immeuble. C’était glauque mais ça m’arrangeait. Maintenant je croise des voisins et je ruse pour les éviter : je les double ou je traîne, parce que je préfère ne pas avoir à leur dire que je préfère attendre que l’ascenseur redescende vide. De toute façon ils feraient probablement de même et je n’ai pas envie de m’entendre dire qu’on préfère m’éviter. ƒ
On n’a plus la même patience, on a moins de temps, et pourtant on fait toujours autant la queue. Alors c’est comme si le temps se raccourcissait, on veut faire plus de choses et on peut techniquement faire plus de choses, mais elles nous prennent beaucoup plus de temps alors on ne peut pas faire plus de choses. Sauf qu’on n’a plus la patience de faire la queue sereinement, on trépigne et on râle contre les mamies qui traînent.
Et maintenant on n’a plus le droit de ne pas avoir de masque. Plus d’excuse, on a tous eu l’opportunité de s’en procurer. Ne pas porter de masque c’est être insolent et provocateur. Sauf que moi je n’ai pas encore pris l’habitude alors j’oublie, et puis je ne fais pas d’efforts parce que je n’en ai pas envie. On étouffe là-dessous, et puis c’est trop lugubre tous ces gens masqués, et puis on passe notre temps à le réajuster c’est énervant. Je me déplace à vélo pour éviter les transports et ne pas avoir à en mettre. Et voilà que je me demande si le cycliste devant moi ne va pas m’envoyer tous ses microbes dans la tête en éternuant. Puisqu’on va vite, on doit se le prendre directement dans la face, le nuage de gouttelettes. Il faudrait donc porter un masque même à vélo ? Eurk non s’il vous plaît.
Aux abords des pistes cyclables les pigeons n’ont rien compris. Ils ont dû royalement s’ennuyer, puis s’habituer. Ils ont dû croire que Paris était à eux. Et ensuite on est ressortis. Depuis ils développent des tendances suicidaires : j’ai l’impression qu’ils se jettent tous sous mes roues.
Ou alors ils ne savent plus reconnaître le danger. Ou alors ils sont insolents eux aussi, et veulent nous faire payer notre schizophrénie en coups de frein. Vous êtes partis ? Vous nous avez abandonnés ? Vous nous avez fait croire qu’on était les rois de la street ? Et puis vous revenez et vous êtes encore plus nombreux en vélo et en voiture parce que vous ne voulez plus prendre le métro ? Et ben tenez, un vol au ras du sol en travers de votre route juste quand vous passez !
Ils m’ont fait de belles frayeurs à sortir de nulle part.
Il fait nuit vraiment très tard maintenant, et je n’ai rien vu venir.
C’est l’été, il commence à faire plus chaud dehors que dedans.
On mange des salades et des glaces alors qu’on n’a pas eu le temps de comprendre que l’hiver était terminé.
La chaleur ça assomme et ça épuise. C’est peut-être ça aussi. Mais quand je me suis enfermée chez moi c’était la période où on cherchait à capter le moindre rayon de soleil. Là tout à coup on ne m’avait pas prévenue, il faut déjà commencer à éviter de s’exposer.
Si le soleil ne m’avait pas attendue, en revanche les pollens oui. J’ai cru que j’y avais échappé avec tout ce confinement mais pas du tout, les voici bien frais et légers, prêts à être transportés par la brise ; et moi j’éternue comme jamais. Au moins je trace ma piste dans la jungle telle une exploratrice avec sa machette : entre mon nez qui coule, mes mouchoirs et mes éternuements, tout le monde s’écarte et j’ai davantage de place pour avancer.
Alors il faut sortir pour en profiter. Il faut recommencer à optimiser sa vie sociale, il faut recommencer à réfléchir en début de semaine à comment on va organiser le prochain week-end. Il faut trouver une activité pour son samedi soir. Cette semaine à la maison on s’est loupés : on était quasiment tous là samedi soir. Sauf Quentin qui a retrouvé le chemin des soirées, mêmes sans bars ni boîtes. Mais lui c’est vraiment un vrai.
Faute de bars, Marine fait ses dates à la maison. C’est osé, faire monter le garçon au tout début de la soirée, à jeun. Mais elle l’a fait et apparemment ça s’est plutôt bien passé. Dommage, je l’ai raté, j’étais sortie.
C’est ça aussi : tout à coup l’appartement est pris d’assaut. C’était un sanctuaire pendant 2 mois, et tout à coup tout Paris y défile. C’est chouette, on a de la place, on en profite, on fait venir les amis. Mais quel foudroyant surcroît d’activité ! L’avantage c’est que si c’est trop relou de croiser tout ce monde on peut à nouveau sortir, mais le désavantage c’est qu’il n’y a toujours rien à faire dehors.
Enfin ça c’est moi qui le dis, mais partout où je passe à vélo je vois les bars ouverts, qui servent des bières dans des verres en plastique, soit disant « à emporter » sauf que tout le monde les emporte 60cm plus loin et reste en terrasse pour les consommer. En terrasse mais debout, sans les chaises, sans le charme de la terrasse. Enfin il semblerait que ce soit sympa quand même ! et au diable les distances de sécurité.
Et pour finir, à force de traîner dehors près des bars, j’ai découvert avant le monde entier LE problème de l’avenir, tenez-vous prêts : si on commence à boire de la bière à emporter mais que les bars sont fermés, OU VA-T-ON ALLER URINER ?
Voilà, futur problème de société.