JOUR 43
J’en ai marre j’en ai marre j’en ai marre j’en ai marre j’enai marre j’enai marre j’enai marre j’enaimarre j’enaimarre j’enaimarre jenaimarre jenaimarre jenaimarre jenaimarrejenaimarrejenaimarre.
Elle est bizarre cette expression à force.
La semaine 7 va avoir raison de moi.
Impossible d’aligner 2 neurones aujourd’hui, en plus pour la première fois depuis longtemps il se met à faire moche à Paris. On ne peut que reconnaître qu’on a été particulièrement chanceux ces 40 derniers jours en terme de météo, merci l’univers, mais qu’il se mette à faire moche la septième semaine c’est pas sympa. On a été mal habitués et à ce stade on est déjà trop abîmés pour avoir la patience du mauvais temps.
C’est là qu’entrent en jeu les préceptes de Jeanne, mon inspiratrice dans la vie, qui bénit la pluie quand on est au bureau parce qu’au moins on n’est pas triste de ne pas être dehors à vivre nos vies. Nous voilà confinés alors qu’il pleut : au moins la tentation de sortir n’existe plus.
Personnellement j’ai toujours admiré avec envie cette façon de voir la chose : moi, que je sois au bureau, dans mon lit ou dans le RER, je suis heureuse s’il y a du soleil et ronchon s’il y a de la pluie. Ce n’est pas vrai dans 100% des cas mais c’est quand même un facteur non négligeable. Alors j’essaie de me convaincre que Jeanne a raison et que la pluie quand on est à l’intérieur c’est mieux que la pluie quand on est à l’extérieur.
C’est vrai, si on devait aller à un festival par ce temps on serait bien dégoûtés. Alors que là on n’est pas plus dégoûtés que les 40 jours précédents.
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Pause.
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Il s’est passé quelque chose ici dimanche dernier, il y a une semaine, dont je n’ai pas parlé. Je ne savais pas comment l’écrire ni dans quelle mesure il était inconvenant de m’approprier cette histoire.
Dimanche matin, la semaine dernière, à 10h36 me semble-t-il (mais j’ai un doute, il était peut-être 11h36, j’étais confuse) un homme s’est jeté par la fenêtre dans ma rue.
Je l’écris ici parce que ça fait une semaine maintenant, que le choc est retombé, qu’on y pense moins, mais on a tous été chamboulés et c’est trop important pour que je l’écarte de ces chroniques et que je fasse comme si de rien n’était. Ça fait partie de mon expérience de confinement.
Il habitait du même côté de la rue que nous, et à cause de l’architecture de mon immeuble on ne voyait que le bas de son corps et ses jambes. On n’a pas regardé longtemps. J’ai moins suivi que mes colocs, je n’ai pas vu l’arrivée des pompiers ni leurs tentatives de réanimation, mais j’ai entendu les réactions des personnes qui étaient dans la rue au début et ont découvert le corps. Personne ne s’est approché. Mais un mec s’est mis à hurler encore et encore. Je ne sais pas s’il connaissait l’homme ou s’il était juste très choqué et lui-même dans un état psychologique trop fragile pour être là.
C’est étrange parce que l’acte de cette personne ne me regarde pas, je ne le connaissais pas, je ne l’ai probablement jamais vu, je ne suis pas un acteur de cette histoire. Mais pourtant on a tous été très marqués, son histoire est entrée dans la nôtre, et on ne l’oubliera probablement jamais. Les personnes qui étaient dans la rue à ce moment-là vont également être marquées pour toujours alors qu’elles étaient innocemment allées acheter des croissants pour leur petit déjeuner.
On ne nous apprend pas à réagir à ces choses-là, c’est trop rare pour qu’on ait déjà réfléchi à une façon de le gérer, et je me suis beaucoup demandé comment j’aurais réagi si j’avais été moi-même dans la rue.
Le pire c’est que moi, par réflexe nerveux, je souris et je dis « hein ? arrête ! » en rigolant. Même chose quand on m’apprend le décès d’un proche ou une nouvelle grave. C’est très bizarre, c’est gênant. Je m’en veux pour cette réaction après coup.
Je n’arrive pas à savoir s’il faut beaucoup en parler pour mieux encaisser, ou plutôt attendre que les autres en parlent et ne pas ramener le sujet sur la table tout le temps.
Je ne sais pas exactement comment mes colocs ont vécu ça. Je sais que Charlotte a fait des cauchemars.
En fait ça doit arriver assez régulièrement, on ne pense seulement pas que ça va arriver en bas de chez soi.
Avec le confinement, l’enfermement, la fermeture de tous les lieux de socialisation, l’accès plus difficile aux soins ou aux centres d’aide, la situation doit être tellement plus compliquée pour toutes les personnes pour qui elle est déjà compliquée en temps normal.
C’est aussi pour ça que j’en ai marre de ce confinement, que je perds de vue son bien fondé. Parce que cet homme serait peut-être encore en vie sans ça, et parce que si c’est arrivé à 150 mètres de ma fenêtre ça doit arriver ailleurs, et beaucoup.
Il doit y avoir des gens dans des difficultés extrêmes partout.
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Samedi après-midi, alors que je zonais dans mon lit, j’ai entendu une personne crier dans la rue, et forte de mon expérience de la semaine passée, je me suis inquiétée et j’ai regardé par la fenêtre. Une nana en rollers était tombée et n’avait clairement pas l’air bien. Des passants l’entouraient et avaient l’air de gérer la situation alors je me suis dit que je ne pouvais pas faire grand chose de plus. Après avoir attendu quelques minutes et m’être sentie carrément voyeuse, je suis partie de ma chambre. Je n’ai pas compris tout de suite ce qui me choquait le plus dans cette scène, si ce n’est que les passants n’avaient pas l’air très inquiets alors que la nana n’était vraiment pas au top. En fait ce qui m’a perturbée et que je n’ai capté qu’au bout de quelques minutes, c’est que les passants respectaient les distances de sécurité. Ils était 3 ou 4, et aucun ne s’est approché. Ils la regardaient gémir et souffrir à 2 mètres de distance. Ils lui parlaient sûrement, mais avec leurs masques je ne pouvais pas savoir. C’était très froid et très bizarre. Surréaliste. Assez inhumain.
Peut-être qu’elle était malade, qu’ils se sont approchés et qu’elle leur a dit de reculer au cas où, mais je ne crois pas. Peut-être qu’ils sont restés distants parce qu’ils étaient vieux. Mais merde, la pauvre !
Je ne sais pas comment s’est terminée cette histoire puisque je suis partie. La nana avait l’air de vouloir se relever, j’imagine que ça s’est bien fini et que les personnes qui l’entouraient ont fait ce qu’il fallait.
Mais nom d’un chien on est vraiment tombés sur la tête, cette méfiance et cette détresse maintenue à distance ce n’est pas beau à regarder. Ça ne donne pas foi en l’humanité.
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Mon agacement d’aujourd’hui n’est pas lié à ces événements. C’est davantage une fatigue et une exaspération de long terme, de septième semaine. En vrai je vais plutôt bien, je ne travaille que 2 jours cette semaine et même si je suis fatiguée d’être inefficace, après la journée de demain je pourrai l’être sans culpabiliser, ça ira.
Et oui, la pluie me donnera envie de rester dans mon lit mais il me reste encore tout un tas de séries à regarder, de podcasts à écouter, de livres à lire, de films à découvrir. Donc j’y serai bien au chaud, dans mon lit, et ce sera très bien.
Après tout on est lundi et les lundis c’est toujours un peu la déprime.
Vivement demain !