Je suis encore sous le choc mais il faut bien que je reprenne ces articles.
Tout s’est passé vendredi, je prenais le soleil en fin de journée sur le balcon, j’étais seule dans l’appartement pour la première fois depuis le début du confinement, Quentin encore au travail, Charlotte partie courir et Jojo parti faire ses courses.
J’entends des coups puissants à la porte. Inquiète, je vais ouvrir mais pas sans jeter un œil par le judas. Je vois trois hommes en costume clair qui attendent dans le couloir. J’ouvre, je suis méfiante.
Le premier homme me demande :
– Mademoiselle Juliette Lalanne ?
– Oui, je réponds.
– Il va falloir nous suivre.
– Pardon ? Où ? Pourquoi ? Qui êtes-vous ?
– Pierre Martin, DGSI. Mes collègues et moi allons vous demander de nous suivre.
Une partie de moi espère que c’est une blague, mais aucun de ces hommes n’a l’air de rire. Les trois ont la quarantaine, le visage dur. L’un d’eux est chauve et vraiment baraqué.
J’hésite, je refuse d’y croire.
Comme je ne réagis pas assez vite, le premier homme fait un pas vers moi. Je me recule, j’ai envie de fermer la porte.
– Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que j’ai fait ? je demande, un peu stupidement.
– Ne posez plus de question, suivez-nous.
Les trois hommes se rapprochent, ouvrent entièrement la porte, entrent et en moins de deux secondes le chauve est derrière moi sans que je comprenne comment il est arrivé là. Il m’agrippe le bras et me pousse vers l’extérieur. Je n’arrive même pas à me défendre, il serre mon bras très fort. Les hommes me poussent vers les escaliers, nous laissons ma porte d’entrée grande ouverte derrière nous.
L’homme me fait mal, je résiste un peu mais je n’ai pas assez de force. Je ne comprends rien de ce qui m’arrive.
En bas ils me poussent à l’intérieur d’une berline noire. Au moment où ils ferment la porte j’aperçois Jonathan qui arrive au coin de la rue avec ses sacs de courses. Il lève la tête, nos regards se croisent, j’essaie de lui faire passer toute ma peur et ma surprise. Dans un premier temps il ne réagit pas vraiment, puis quand la portière se ferme et que la voiture démarre je le vois poser ses sacs et esquisser un mouvement pour nous poursuivre.
On démarre en trombe, l’homme qui me tenait pas le bras est assis à côté de moi et m’empêche de continuer à suivre Jojo des yeux. Je suis pieds nus. Je dis « Je suis pieds nus. » Ils ne réagissent pas, je leur demande ce qui se passe et ce que j’ai fait.
Personne ne me répond, la voiture se dirige vers le sud de Paris. J’ai l’impression que je suis en train de rêver.
Je ne comprends plus vraiment où nous sommes, puis nous entrons dans un parking souterrain. La voiture s’arrête, les 3 hommes me poussent hors du véhicule puis dans l’ascenseur. On m’installe dans une salle noire sans fenêtres où il n’y a qu’une table, deux chaises et un distributeur d’eau.
Je ne me suis jamais sentie aussi mal.
Ils me laissent là pendant un temps infini. J’ai froid.
Puis le premier homme Pierre Martin revient, avec le 3ème, celui qui conduisait la voiture. Ils me demandent s’il me faut quelque chose. Je réponds que j’ai froid. Ils me promettent de me trouver un pull mais aucun des deux ne bouge. Ils se rapprochent de la table. Et commencent à me poser des questions.
Identité, date et lieu de naissance, adresse. Et puis, en sortant un dossier avec des captures d’écran de ce blog :
– Vous reconnaissez ce site ? C’est bien vous qui l’écrivez ?
– Je…Oui c’est moi, mais qu’est-ce qui se passe, il y a un problème ?
– Ce sont vos colocataires dont vous parlez ?
– Oui mes colocataires, juste ma petite vie… Dites-moi quel est le problème s’il vous plaît ! j’insiste, je sens les larmes monter à mes yeux.
– Ce sont leurs vrais prénoms ?
– Non je les ai changés.
– Pouvez-vous nous détailler leurs véritables identités ?
– Oui mais enfin pourquoi, quel est le problème ?
– Détaillez leurs identités exactes.
Je liste les prénoms et noms de mes colocs. J’ai chaud maintenant, mais je tremble. J’ai envie de pleurer, je ne comprends pas ce que je fais là. Qu’est-ce qu’il y a d’écrit ici qui soit si grave ?
On toque à la porte. L’homme qui conduisait la voiture va ouvrir, il discute 20 secondes à voix basse avec une femme dans le couloir. Puis il revient et chuchote rapidement quelque chose à son collègue Pierre Martin.
Les deux hommes se dirigent vers la sortie. Pierre Martin se retourne et me dit rapidement « On revient, ne bougez pas. »
Sur la table ils ont laissé le dossier. Je n’ose tout d’abord pas bouger et puis les minutes passent, aucun bruit n’indique leur retour. Alors je commence à regarder de loin, puis prends carrément le dossier entre mes mains. Il y a chaque article imprimé, chaque page du site. Et puis il y a une dizaine de fiches avec toutes les personnes citées dans ce blog, leurs identités, leurs adresses, leurs emplois, puis des critères et des codes que je ne comprends pas. Il y a aussi la liste de mes précédents voyages et de mes anciens appartements, des impressions d’articles de mon ancien blog, des photos sorties de Facebook ou d’Instagram où on me voit avec d’autres amis. Il y a une photocopie de la photo polaroïd qu’on a faite des colocs à l’anniversaire de Marine. Cette photo est sur notre frigo depuis toujours, je ne comprends pas comment ils peuvent avoir une copie d’une photo polaroïd.
Je tremble toujours, je ne sais plus si j’ai chaud ou froid, je n’ose plus bouger, je ne me suis jamais sentie aussi seule. Et en même temps bizarrement je suis sereine, je ne vois pas ce que j’ai pu faire de mal en écrivant ces articles.
Puis j’entends des pas dans le couloir. Deux hommes sont en pleine conversation. L’un d’eux (celui qui conduisait je crois) dit :
– Mais c’est qui ce gamin ? Il sort d’où ? Qui nous a mis un incompétent pareil sur cette affaire ?
– J’en sais rien, c’est un stagiaire qui fait office de remplaçant, Mariette a chopé le corona virus à cause de son gosse et l’a refilé à tout le 5ème étage.
Je ne connais pas cette nouvelle voix.
– Ben en attendant c’est encore moi qui ai l’air d’un con, reprend le premier. J’ai pas que ça à foutre moi, et Martin va me le faire payer pendant 3 semaines c’est clair.
– Ouais je sais. Bon tu t’en occupes ou je le fais ?
– Non c’est bon vas-y je la ramène.
A ce moment-là la porte s’ouvre, je sursaute.
L’homme me regarde, énervé, et me dit très vite :
– Suivez-moi je vous ramène chez vous.
– Je ne comprends rien, est-ce que vous pouvez enfin me dire ce qu’il se passe ?
Il reprend le dossier posé sur la table en rassemblant les papiers à la hâte, et sort avec la pile de feuilles.
Je le suis, tremblante et toujours pieds nus. On reprend l’ascenseur. Il a l’air plus détendu. Il me dit seulement : « On s’est plantés de dossier. Continuez votre blog, il est marrant moi ça me détend. »