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JOUR 12

Une nouvelle journée passée avec les cheveux vraiment dégueu. Demain matin je les lave, ça fera 4 jours ET DEMI ! Je ne peux décemment pas continuer un jour de plus, déjà parce que j’ai peur que mes colocs ne m’aiment plus, et ensuite parce que demain je vais faire des courses ! Pour la toute première fois. Youhouuuu une sortie avec d’autres humains. Je ne peux pas y aller toute moche et grasse des cheveux.

C’est encore un vendredi avec un goût un peu fadasse, ce soir c’est le week end mais on n’a rien de dingo de prévu qui donne envie d’y être si ce n’est l’autorisation de glander entre 9h et 18h, contrairement aux autres jours où on culpabilise dès qu’on se met à faire « le corbeau » à 11h. « Le corbeau » c’est pas le corbeau comme on croit, c’est une posture étrange de yoga où on est accroupi mais en l’air, en tenant sur les mains. C’est pas clair : on tient en équilibre, les jambes pliées, les genoux posés sur les coudes. Ça fait partie des exercices préparatoires à l’arbre droit que pratiquent mes colocataires. Mes explications ne sont pas satisfaisantes, mais croyez-moi c’est plus difficile qu’on ne le croit.
Charlotte y arrive hyper bien, Marine a du potentiel, Jojo galère avec la technique mais s’en sort de mieux en mieux, moi j’ai à peine testé et j’ai les os trop pointus ça me fait mal, et Quentin nous a scotchés en réussissant direct sans même forcer.
Au moins ce week-end je pourrais m’entrainer non-stop si l’envie me venait.

Ah, on me dit dans l’oreillette que le confinement a été prolongé jusqu’au 15 avril ? Super. Le 15 avril c’est un chouette jour, c’est l’anniversaire de ma cheffe ! Voilà ça vous fait une belle jambe. Avec un peu de chance ce sera la fin et elle pourra faire une grosse soirée, et nous aussi. C’était aussi le début d’un festival de quelques jours sur lequel je travaillais. Ce festival a été annulé la semaine dernière.
J’ai pas mal étudié les textes de Wajdi Mouawad, auteur libanais exilé au Canada puis en France. Et souvent revient chez lui l’idée de gémellité, de ce qu’aurait été la vie de son jumeau resté au Liban. De ce qu’aurait été sa vie s’il était resté au Liban. Que serait en train de faire ma jumelle si le virus ne nous avait pas poussés au confinement ? Quelles seraient mes motivations ? Mes questions du moment ? Mes difficultés ? Mes projets ?
Ce soir on a fait un tour de table de ce qui nous manque le plus. Sans surprise il nous manque les sorties, mais les sorties avec nos amis, les sorties culturelles, les sorties dans la nature. Ce n’est pas tant sortir de l’appart, c’est sortir de l’appart pour aller faire quelque chose avec quelqu’un.
Ces spectacles que je n’ai pas vus et que je ne verrai pas jusqu’au 15 avril, quel aurait été leur impact sur ma vie ? M’auraient-ils fait réfléchir ? Auraient-ils changé ma vision de certains problèmes ? Est-ce que l’amie avec laquelle je devais aller les voir m’aurait fait remarquer des choses à côté desquelles je vais passer ?
C’est bête, on ne peut pas savoir et ça ne sert à rien de s’imaginer 1000 scénarios. Et ce qui se passe aujourd’hui et maintenant en confinement vaut la peine d’être vécu sans regrets. Mais je n’arrive pas à m’empêcher de penser en ratés et gâchis.
Ce serait tellement chouette qu’on en ait fini le 15 avril pour de vrai. Et qu’on puisse reprendre le cours de nos vies.

Et en même temps c’est l’occasion d’aller au bout d’une expérience solitaire, c’est l’occasion de voir quel type de personne on est en huis clos. C’est l’occasion de tester nos relations à l’épreuve de la distance, c’est l’occasion de voir ce qui ressort des situations de contrainte. Et le tout dans une relative sérénité puisqu’aucune bombe ne nous menace et que, dans notre cas en tout cas, aucun poste ni avenir n’est en danger.
J’aimerais penser qu’on s’en souviendra toute notre vie comme un moment hors du temps, inattendu, inédit et unique, mais quelque chose me dit qu’il n’y a pas de raison que ce soit le seul confinement que je vais vivre. Si c’est maintenant la stratégie des sociétés humaines en cas d’épidémie, on sera forcément amenés à la remettre en place, d’autres pandémies vont forcément avoir lieu bientôt. Peut-être que dans quelques années on rigolera de notre panique et de notre surprise d’aujourd’hui en se disant qu’on était bien niais et naïfs en 2020.

Première soirée Rami ce soir, en fait je crois que j’avais déjà joué à ce jeu, fort possiblement au ski il y a quelques bonnes années. Mais j’avais oublié. Quentin et moi on débute, et sur 2 parties je gagne 2 fois. Chance du débutant. Mais maintenant qu’on sait jouer et compter jusqu’à 51 on pourra refaire des soirées ! On a aussi mangé un risotto cuisiné par Charlotte qui avait aussi fait un punch, on fait des soirées de trentenaires et des jeux de vieux. Mais c’était très chouette. Merci les gars !

Et puis pour ne pas oublier ce qui distingue cette journée des autres et garder le fil, ce matin on n’a pas fait de yoga avec Charlotte mais (quand j’ai enfin réussi à me motiver et sortir de mon lit) on a fait une séance d’étirements animée par une dame qui souriait beaucoup et parlait tout le temps. On a coupé le son de Youtube et on a fait comme sur l’écran. La dame brillait beaucoup, elle avait eu la main lourde sur l’highlighter. Elle avait l’air très sympa mais un peu trop heureuse pour 8h50 un vendredi.
J’ai retrouvé un minimum d’envie pour faire la cuisine, j’ai fait ma lessive, et Charlotte a passé du désinfectant sur les interrupteurs et les poignées. On se reprend en mains.

Et où que je regarde je me dis que j’ai de la chance et que tout se passe bien pour moi : tout le monde est en bonne santé, personne ne perd entièrement la boule et il faisait encore très beau toute la journée. Ça va aller.

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