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JOUR 2

Ça a commencé aujourd’hui à midi. Une dernière sortie ce matin pour acheter des croissants, et un rapide coup d’œil sur les gens qui font la queue à l’entrée des magasins. Les gens avec des masques. Tout le monde avec un sac de provisions.

Aujourd’hui il fait gris.

On est tous de bonne humeur. Quentin travaille dans une épicerie fine donc il est parti travailler, dehors.

Jojo télétravaille du salon, Marine fait du tri, Charlotte fait du ménage.

Moi j’ai bu trop d’alcool hier. Et je passe 1h30 en visio conférence avec mes collègues. Le travail à distance s’organise. On a de la chance on est tous équipés pour le télétravail : un ordi portable chacun, un téléphone portable, un VPN pour se connecter au serveur à distance. Je ne sais pas comment font toutes les autres entreprises qui ne sont équipées que d’ordinateurs fixes.

Mon entourage d’intermittents s’organise et s’inquiète. Je devais aller au 104 cette semaine, entre autre, et tout est annulé. Les structures culturelles demandent aux spectateurs de ne pas se faire rembourser leurs places pour pouvoir payer les artistes et les équipes qui étaient programmés.
Toutes ces dates annulées vont faire des trous dans les décomptes d’heures d’intermittence.
On mesure assez mal les conséquences que ça va avoir. Mais au moins l’État est redevenu social et va nous aider !

Pour l’instant je suis plutôt contente de cette pause, ça ressemble à un dimanche bizarre.

Je travaille sur ce projet de chroniques, je m’imagine le monde extérieur, vide et armé.
Je dors.
J’ai repassé du produit désinfectant sur tous les interrupteurs et toutes les poignées de porte de l’appartement.
A un moment Jojo n’y tient plus et sort courir. Moi je me demande quelle passion sportive je pourrais développer : je n’aime pas courir, je n’ai même pas de baskets.
Peut-être que je pourrais faire des tours en vélo.

Jojo est sorti avec une autorisation manuscrite dans laquelle il s’autorise lui-même à sortir. Ce monde n’a aucun sens.

Il a vu sur internet qu’il fallait faire ça, sur France Info. J’ai aussi vu passer ce document avec des cases à cocher en fonction de la raison pour laquelle on sort de chez nous. On me l’a envoyé dans une conversation de groupe. Je ne comprends pas la logique : quel est l’intérêt d’écrire sur un document la raison qui m’autorise à sortir quand il suffit que j’utilise ma bouche et des phrases pour expliquer pourquoi je suis sortie ? Est-ce que les policiers sont si peu malins ? Ils ne croiraient que les documents manuscrits auto-cochés ? Si je sors c’est parce que j’ai besoin de sortir, que j’aie coché la raison 1 ou la raison 5 ne change rien au fait que je suis dehors. Et si je suis dehors avec mon papier dans la poche je suis probablement capable de justifier ma sortie sans avoir besoin de passer par ma poche. Il faut vraiment que je creuse ce sujet.

Pour le sport, on se dit qu’on va suivre des vidéos de yoga en groupe, qu’on va se muscler les fessiers en équipe.
En écrivant je réalise que 2 semaines c’est 14 jours, c’est 14 matins et qu’on en a à peine fait 1.
Dites-donc elles vont devenir bien belles mes fesses.
Enfin sauf si on prend en compte toutes les cochonneries que j’ai achetées au Monoprix hier. Ça équilibrera et mes fesses ne bougeront pas d’un poil.
J’aurais dû acheter des chocapics et du vin au Monoprix aussi. Je suis inconséquente.

En parlant de courses et de chocapics, on a reçu un mail de la Louve, notre supermarché coopératif et participatif à Charlotte, Marine et moi. On pensait pouvoir aller y travailler pour occuper tout notre temps libre, mais voilà qu’ils ont décidé de suspendre tous les services des bénévoles. Ça va être un joyeux bordel : les salariés sont très peu nombreux et la grosse part des tâches est effectuée par les milliers de bénévoles qui se relaient au fil des journées. Je me demande comment ils vont s’organiser. Le mail qu’ils nous ont envoyé est un vrai mail de mignonne coopérative : ils nous demandent de réfréner nos pulsions généreuses d’entraide pour rester chez nous et ne pas venir donner de coup de main à la Louve pour notre sécurité collective. La solidarité prend un visage étrange et solitaire.

Quentin est revenu de sa journée de travail : on lui demande un rapport sur le monde extérieur. Il a pris le métro à l’heure de pointe, il y avait 3 personnes par voiture à tout casser. Et des SDF qui tapent la discute.
Il nous dit qu’il n’a croisé quasiment personne. Par contre il a discuté avec un mec qui travaille à côté de son épicerie et qui lui a dit, au bout de 30 minutes de conversation, qu’il avait passé son dimanche à se taper une meuf qui a le Corona virus. Certaines personnes ont un degré d’intérêt tout relatif pour la responsabilité collective.

D’ailleurs Marine, qui cherche l’amour sur Tinder, nous dit que des tas de mecs l’invitent à venir passer la soirée chez eux. Je me dis que certes, on est en train de réinventer le lien social et nos rapports amicaux en faisant des Skype à tout va et des apéros en visio-conférence, mais que ça ne veut pas dire que les nouvelles technologies ont tout bon ou qu’on est moins débiles pour autant. Ces applications de rencontre seraient-elles les nouveaux ennemis du gouvernement ? En tout cas ça ne redore pas le blason de la gent masculine. Enfin le confinement c’est difficile pour tout le monde.

Je me demande combien de temps je peux tenir sans faire de courses. Une semaine sûr, et plus c’est carrément possible mais bien moins ragoûtant. Je peux tenir physiquement en mangeant du quinoa au sel mais mentalement ça va être moyen marrant. Je suis en train de capter d’ailleurs qu’au moment où j’en serai au quinoa salé, ce sera aussi le moment où je serai arrivée au bout de la réserve de chocolat et de Flanby. Ces jours-là seront vraiment sombres.

Mais bon, rien ne sert de s’inquiéter vite, mieux vaut penser à point (vivre l’instant présent) : on a la chance d’avoir un balcon, et en plus demain il devrait faire beau.
J’ai de nouveaux projets de vie : écrire ces chroniques, reprendre la méditation et le yoga, faire du coloriage et arrêter de me laver les cheveux pour enfin parvenir à allonger mon cycle de lavages et réduire le nombre de shampoings. Après tout cette retraite du monde extérieur est une chance unique de traiter les excès de sébum de mon cuir chevelu. Et puis peut-être que si je sors avec les cheveux très très gras la police aura pitié/sera révulsée et me laissera partir même sans autorisation de sortie de moi-même pour moi-même.

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