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JOUR 11

Tout à l’heure j’ai décidé d’utiliser mon droit de sortie du jour. Je me suis fait un petit papier, j’ai lacé mes chaussures, enfilé une grosse veste et je suis sortie, à 18h45. En plein coucher de soleil. Plus tôt dans la journée Marine a aussi décidé d’utiliser le sien, elle est sortie une heure et apparemment elle a trouvé des endroits sympa à moins d’un kilomètre de la maison.
Moi je suis allée jusqu’au métro, puis j’ai fait un petit tour par là, j’ai traversé un pont, et c’était glauque. C’était archi glauque partout. Déjà parce que mon quartier n’est pas désert, donc. Toute la sociabilité actuelle de Paris se concentre devant les Lycamobiles et les grilles fermées des parcs. Sur mon trajet je suis passée devant plusieurs des deux. Ce Paris social a l’air mal en point. Il avait sûrement déjà l’air mal en point avant mais on ne le voyait pas, à part cette fois où j’avais décidé d’aller me poser dans un petit parc pas très loin de chez moi, un de ces parcs où se socialisaient les traîne savate avant que tous les parcs ne ferment, et je m’étais dit que ce n’était pas un parc pour moi, trop jeune, trop femme et trop sobre.

Mais dans tous les cas, l’espace public sans parc ça perd au moins la moitié de son intérêt. En tout cas l’espace public à Paris, qui correspond globalement à des rues, et parfois des parcs. Là du coup ça donne juste des rues. Autrefois quand je sortais de chez moi pour prendre l’air, ça voulait dire sortir de chez moi pour trouver des arbres et de l’herbe et ça me rendait heureuse. Maintenant on m’autorise à prendre l’air une fois par jour pour me rendre heureuse, mais il faut que je me contente de béton et de goudron. C’est vraiment pas de bol niveau quartier. La prochaine fois j’essaierai dans une autre direction, mais les autres directions sont normalement pires que celle que j’ai choisie aujourd’hui. Enfin qui sait, je serai peut-être surprise.

Je me plains mais les couleurs du coucher de soleil sur les hauts immeubles gris du 19ème étaient douces et rosées, et ce beau ciel pur était d’un fort joli bleu. Ça valait la peine d’être vu.

On continue le yoga, Charlotte et moi. On continue le vinyasa et je pense que je vais devenir pas mauvaise. J’ai essayé de toucher mes pieds jambes tendues après, et c’était déjà moins ridicule. Je crois que le fonctionnement qu’on a mis en place nous convient, on télétravaille dans la bonne humeur. On dort toujours mal mais aujourd’hui c’était moins grave. Serait-il possible qu’on trouve un rythme de croisière ?

Non faut pas pousser. Ok on est de bonne humeur mais moi j’ai lâché l’affaire sur la cuisine depuis 2 ou 3 repas et c’est pas bien. Je manque d’ingrédients mais je manque aussi d’imagination et d’envie, faut se reprendre tout de suite. J’ai lâché l’affaire sur les interrupteurs et les poignées aussi, faut se reprendre tout de suite. Oulala et j’ai oublié de faire ma lessive, faut vraiment se reprendre tout de suite.

J’ai de nouveau les cheveux sales, forcément ça revient inlassablement, mais pour le coup je commence à m’en lasser. C’est moche, et vu que je ne mets plus de maquillage et que je passe beaucoup de temps à tripoter mon visage pour ne pas me tripoter les cheveux, j’ai des boutons qui se voient. Et paradoxalement on passe un temps infini sur skype à se mirer dans le coin en haut à droite de l’écran et chaque seconde de vidéo rend les objectifs de réduction de sébum plus difficiles à tenir. Cette vie est une farce.

Pour contrecarrer les plans de ce narquois univers, on a tous des objectifs de reprise en main physiques de nos vies : Charlotte et Jojo apprennent à faire l’arbre droit, Marine voudrait parvenir à faire le grand écart à nouveau, et moi j’en suis toujours à toucher mes pieds avec mes mains, et oui ça fait petit joueur à côté mais zut chacun fait du mieux qu’il peut.
Je vais réfléchir à de nouveaux projets pour ce 2ème week-end confiné !

Mais n’empêche c’est dingue, si on s’est vraiment tous mis à regarder des vidéos de yoga en ligne et à arrêter de nous laver les cheveux, si on a tous eu les mêmes idées à l’annonce du confinement, est-ce que ça ne veut pas dire qu’on sait tous au fond de nous que c’est ce qu’il nous faut ? Et qu’il nous faut tous la même chose ?
Qu’il nous faut du temps pour faire bouger nos corps, pour apprendre à respirer, à méditer et pour apprendre à respecter les cycles naturels de nos cuirs chevelus, de nos glandes sudoripares ou de nos utérus ? Serait-on tous faits pour faire du yoga et du jogging quotidiennement, se laver les cheveux une fois par mois et pratiquer le flux instinctif libre quand on a nos règles ? Ce confinement serait-il la chance d’apprendre à comprendre nos corps ? Nom d’un chien !

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